Le portrait de madame


 

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le portrait de madame

Les personnages

Édouard, 35 ans, rentier ;

Louise, 30 ans, son épouse ;

Julien, 37 ans, l'intendant ;

Éric Leroi, 31 ans, artiste peintre ;

Une servante ;

Gisèle, une amie de Louise

Une femme, mon cher Julien, est un être dont les désirs, les desseins et les vœux sont difficilement exaucés. C’est, paraît-il, la tâche de l’homme... »

Vaste programme, auquel a sans doute failli Édouard, un riche rentier. Les retrouvailles de sa femme Louise avec Éric Leroi, jadis compagnon d’études à l’Université et désormais artiste peintre, oriente chacun vers l’essentiel peut-être…

Le tout sous l’œil malicieux et impertinent de Julien, l’indispensable intendant de Monsieur !


Préface


En 1969, j’étais plongé dans les œuvres d’Oscar Wilde, le fameux dramaturge irlandais à l’esprit brillant et je citerai pour votre plaisir et le mien ces phrases immortelles : « Je peux résister à tout sauf à la tentation »   ou encore «Les enfants commencent par aimer leurs parents ; devenus grands, ils les jugent ; quelquefois, ils leur pardonnent » et "On devrait toujours être amoureux. C'est la raison pour laquelle on ne devrait jamais se marier... »

Après ma licence, pour obtenir la Maîtrise d’anglais, j’avais choisi d’écrire ce que nous appellions un Mémoire. Le mien sur Oscar Wilde -in English, of course –s’intitulait : « Etude caractérologique et graphologique d’Oscar Wilde ». La caractérologie de Le Senne et la graphologie étaient en effet mes « dadas» de l’époque. J’ai donc lu avec grand plaisir les pièces de théâtre d’Oscar Wilde comme « L'Importance d'être Constant (1895) », « Un mari idéal (1895) », «  L'éventail de Lady Windermere « (1892)…Je pourrais ajouter ses romans comme « le Portrait de Dorian Gray ». Et donc un jour subitement m’a saisi l’envie d’écrire cette pièce. Je l’ai écrite en trois jours fiévreusement comme il m’arrivait d’écrire alors quand j’avais une idée. Avant de la publier aujourd’hui, j’ai remanié ou éliminé certaines phrases car dans cette pièce écrite à 21 ans, il y avait la fraîcheur mais aussi d’inévitables erreurs de jeunesse. Je l’ai sortie du tiroir et je vous invite à la lecture en pensant à ces paroles d’Oscar Wilde : « L'artiste est le créateur de belles choses. [...] il n'y a pas de livre moral ou immoral. Les livres sont bien ou mal écrits. Voilà tout. »

Acte I

Scène I

Édouard est en train de lire le monde dans le salon lorsque son intendant arrive

Julien : Monsieur, le roi a pris ce soir la chambre numéro trois

Édouard : Pardon, le roi, dites-vous ? Mais quel est donc ce roi ?

Julien : Monsieur, nous appelons de cet épithète royale un individu d’ une conscience très haute mais dont nous désapprouvons la royauté, à juste titre.

Édouard : Enfin, je ne comprends pas, expliquez-vous quel est cet homme étrange ?

Julien : Un roi, Monsieur, enfin vous m’énervez. Un roi de la couleur du temps, un magicien du pinceau, un troubadour de la beauté.

Édouard : A parler d’énervement, vous me portez un peu lourdement sur les nerfs.

Julien : Ne serait-ce le respect dû à votre dignité, j’oserais ici exprimer un profond courroux mais dans ce triste monde -triste si vous avez la malchance d’y vivre - il n’est pas permis à une personne socialement intérieure d’être discourtois à l’égard d’une personne supérieure socialement. Heureusement, Monsieur, qu’en ce qui vous concerne, votre supériorité n’est que sociale.

Édouard : oh la, manant. Taisez-vous et dites enfin quel est ce roi.

Julien : S’il était permis à un domestique de mon rang puisque j’ai le très grand honneur d’être votre économe, s’il m’était permis, dis-je , d’user de ce que je sais et de profiter de mon savoir pour vous irriter totalement, donnant ainsi libre cours à mon sadisme congénital…

Édouard ; Cessez ce galimatias. Enfin quel est ce roi ?

Julien : C’est un roi, c’est un peintre, c’est un malade. Vous savez, c’est un artiste. Ces sortes de gens sont naturellement enclins aux maladies mentales par excès d’émotion et de cogitations et je ne saurais trop, après vous avoir informé avec une diligence dont je m’honore, je ne saurais trop vous conseiller, dis-je, de ne point trop approcher cet homme qu’on me dit instable.

Édouard : Mon cher Julien, ne dites pas du mal de la stabilité. Pour un artiste, et à ce sujet je m’y connais mieux que votre ignorance, une instabilité maladive est une des conditions nécessaires de la profession. Allons, voyons, réfléchissez, pensez à ceux qui cherchent l’inspiration dans le haschisch, l’opium ! Il recherche l’instabilité, voilà tout. J’ai toujours désiré au fond du cœur, d’être un artiste mais le destin fut cruel : une femme m’a odieusement stabilisé le lendemain de mon mariage. Le mariage, les enfants, l’amour doux et paisible, toutes ces choses déplorables ont nui à une carrière artistique. Mais qui sait, peut-être bientôt, le phénix enfoui renaîtra-t-il de ses cendres. J’ai écrit des poèmes à 15 ans et on ne peut me reprocher d’avoir goûté au miel de la poésie.

Julien : J’oserais dire à Monsieur que mon intuition audacieuse me dit que votre miel devait être passablement immangeable.

Édouard ; Je ne répondrai pas à une telle effronterie, une parmi tant d’autres. Julien, si vous ne m’étiez pas si cher, je dirais que vous êtes un sale domestique mais ma pudeur, ma pudeur, n’est-ce pas ?

Julien : Maître, la pudeur m’oblige ici à ne pas vous dire tout le mal que vous savez que je pense de vous et si vous ne m’étiez pas si cher…

Édouard : Mon Dieu, faut-il que nous soyons nés dans la même maison pour nous supporter de la sorte mais ma foi, ce n’est pas ma faute si votre mère qui était servante dans cette noble maison épousa votre père qui était servant dans cette honorable maison et ce n’est pas ma faute, si leur union donna naissance au monument d’insolence que j’ai devant mes yeux. Voyez-vous ce qui m’a toujours étonné chez vous, mon cher Julien, c’est votre intelligence choquante par rapport à celle de vos parents.

Julien : Quant à votre intelligence, monsieur, elle me choque aussi par rapport à l’intelligence de monsieur votre père hélas défunt aujourd’hui.

Édouard : Et que mon père ait commis dans sa bonté l’erreur de vous donner une éducation et de vous permettre l’accès de sa bibliothèque.

Julien : Il fallait bien, monsieur, qu’il usa de ses rentes et que quelqu’un se servit de ses livres puisque vous le fils de cette soi-disant honorable maison, ne daignait que très rarement pénétrer dans sa bibliothèque.

Édouard : Oui et cela n’empêche que c’est toujours moi le maître de cette maison, en étant héritier de mon feu père. Vous devez le respect à votre maître.

Julien : Oui, Maître. Bien sûr, Maître

Édouard : Alors qui est ce roi ? Qui lui a permis de pénétrer dans cette maison ?

Julien : Votre épouse, cela coule comme de l’eau de source. Tandis qu’elle promenait le petit cabot de la maison, pardon votre petit chien, dans le parc de la Madeleine, elle a rencontré par hasard Éric Leroi car tel est son nom et alors, vous parlez, c’était un ancien camarade de l’époque que où elle essayait d’attraper une licence de quelque chose à la faculté des lettres et lui et elle, et je m’empresse de dire beaucoup de copains, ils se retrouvaient dans un café où ils avaient coutume d’étancher leur soif vu qu’ ils avaient souvent très soif. Tout ça c’est votre épouse qui me l’a dit brièvement quand je les ai aperçus tous deux pour la première fois dans le salon de Monsieur.. Monsieur Leroi, c’est moi qui l’appelle ainsi, m’a simplement dit « bonjour » et « comment allez-vous ? ». Rien que de très banal, vous en conviendrez.

Édouard : Comment était-il ? grand ? petit ?

Julien : Non, petit, maigre. À première vue, sa santé m’est apparue délicate. Si cet individu encombre la maison pendant un laps de temps déraisonnable, il faudra sûrement faire appel d’ici peu au médecin de famille.

Édouard : oh ! Vous, la barbe enfin… Oh… Quelle idée, ma chère Louise ! Quelle femme adorable ! M’apporter un bijou d’artistes, en ses murs et moi qui commençais à m’ennuyer passablement avec toutes ses rentes qui ne m’apportent que de l’oisiveté. Puis vous , je suis fatigué de vos insolences

Julien : Monsieur, ne soyez pas injuste, mes effronteries charmantes, avouez le apportent le piquant qui manque à la fadeur de votre vie. Vous êtes trop injuste, je me plaindrai à Madame.

Tenez, voici votre chère Louise.



Scène II


Louise, épouse de Monsieur, entre et dit d’une voix nonchalante : Bonjour !

Édouard : On m’a dit…

Louise : On vous a dit ?

Julien : J’ai dit, soyons francs…

Édouard : Il m’a donc dit que nous avons un hôte dans cette maison. Un hôte artiste occupant la chambre d’amis numéro trois et répondant au doux nom d’Éric…

Louise : C’est exact, Édouard, vos services de renseignements sont remarquables…

Édouard : Ce peintre, ce roi comme dit Julien, qu’est-ce qu’il est venu faire ?

Louise: « Ce roi », quelle expression amusante, Édouard ? (Elle part d’un rire fluide)

Édouard : Eh ! bien quoi, ce roi ?

Julien : J’ai dit à Monsieur tout le mal que je pensais de cette appellation royale.

Édouard : (sur un ton ferme et contenant une colère qui monte ):

Louise, je désire simplement des explications sur cet étranger. D’où il vient, ce qu’il a, ce qu’il veut, tout…

Julien : Savoir tout d’une personne, Monsieur. quelle ambition ! Quand cette personne ne se connaît pas elle-même. Et l’inconscient, qu’est-ce que vous en faites ? D’après ce que j’ai ouï dire négligemment, les artistes chercheraient leur inspiration dans leurs pulsions inconscientes. Sur leurs toiles, ils expriment souvent leurs bas instincts. Monsieur n’a point de bas instincts…

Louise : Julien, mon ami, vous allez un peu fort. Les instincts d’Éric ne sont pas si bas que ça : c’est un poète, un peintre et ce qu’il fait est admirable. A côté de votre seul intérêt pour les choses matérielles

Julien : Je m’en excuse, et j’ ai été, comme tant d’innocents, victime d’une éducation visant à l’utile et à l’efficace et non hélas vers le beau et la gratuité de l’art… Mais je m’empresse de le dire, moi, je ne suis pas malade.

Édouard : Alors, madame, vos explications ?

Louise : Pardon, j’étais distraite par votre cher intendant… Éric Leroi…

Julien : Oh, qu’il m’eût plu de porter un nom aussi royal, moi pauvre roturier !

Édouard : Vous la laissez parler, oui ou non ?

Julien : Madame, je vous permets de parler.

Louise : Éric est un ami que j’ai connu alors que j’étais à l’université. Oh, rien que de très platonique dans nos relations, je me hâte d’affirmer. Nous nous retrouvions quelquefois dans un café, rue d’Austerlitz et il est arrivé que nous nous adressions la parole de temps en temps. Je l’ai rencontré par hasard avant-hier dans un parc et vous savez, ce furent des retrouvailles émouvantes. Revoir quelqu’un avec qui vous avez partagé un instant de votre vie m’a toujours donné un plaisir exquis. Les souvenirs communs ont scellé notre...


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